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Le Top 10 des mots d'Alain Rey

Top 10 des mots

Alain Rey était un conteur intarissable et passionnant. Dans les médias, lors de nos comités éditoriaux ou en privé, de sa voix si caractéristique, il nous charmait en racontant l'histoire des mots ou en expliquant son travail, ses découvertes, ses questionnements.

Et nous n'avions jamais envie qu'il s'arrête. Alors, ce mois-ci, nous avons choisi de lui rendre hommage avec des extraits d'entretiens, à travers dix mots qui sont autant de prétextes pour évoquer son œuvre immense et sa conception éminemment moderne de la langue.

(C'est nous qui soulignons.)

 

10. Néologie

On appelle néologie l'ensemble des nouveautés, mots ou sens qui enrichissent une langue. Et parce que la langue évolue, les dictionnaires doivent évoluer aussi. La recherche et l'intégration de ces nouvelles « manières de dire » étaient une évidence et une priorité pour Alain Rey. Un véritable travail de fourmi ! « La mise à jour d’un dictionnaire est beaucoup plus compliquée qu’il n’y paraît. Il ne suffit pas d’intégrer des mots nouveaux, il y a des sens nouveaux à l’intérieur de mots anciens, il y a des expressions nouvelles… Nous faisons un gros travail collectif de documentation, dans la presse, la littérature, jusqu’aux dialogues de films, pour être au contact de la langue contemporaine. Cela devient une habitude, et lorsque j’entre dans un supermarché, je regarde quels sont les mots nouveaux dans les publicités… » (La Liberté, 4 novembre 2017).

 

9. Littérature

Riches de milliers d'extraits d'œuvres classiques ou contemporaines, le Petit Robert et le Grand Robert ont une dimension puissamment littéraire. Pour l'amoureux des lettres que fut Alain Rey, l'ajout de citations ne servait pas qu'à illustrer les définitions. « L'usage littéraire va au fond de l'esprit des mots […]. Il y a un rapport intime à l'essence du mot qui n'est révélable que par la littérature […]. Et on a la chance en français d'avoir une littérature et une poésie de très grande qualité, et parfois de génie, qui sont à peu près continues depuis les origines de la langue », expliquait-il au micro de Laure Adler (Hors-Champs, France Culture, 2014). Et parmi les grands noms de la littérature, Alain Rey ne cachait pas sa préférence. « Mon auteur français favori, c’est Rabelais : création absolue, liberté totale, capacité à cacher une philosophie derrière des conneries enfantines, mélange de la narrativité et de la liste. C’est un grand lexicographe, Rabelais. » (Le Monde, 8 septembre 2019)

 

8. Francophonie

Alain Rey a toujours défendu l'idée d'une langue multiple. « Le français est l’une des dix langues les plus parlées de l’humanité, qui en compte six mille. Il est la patrie de tout francophone, même si chaque communauté entretient avec lui un rapport différent. C’est ce qui fait sa richesse, et c’est pourquoi il serait faux d’avoir une vision nationale” du français. […] Un Suisse de Lausanne, un Québécois, un Acadien de Louisiane pense sa langue différemment d’une personne qui pratique un bilinguisme obligatoire – un Créole, un Haïtien – ou encore d’un Africain, qui parle trois langues. Les expressions en “français d’Europe” ne sont pas les mêmes que les expressions en “français hors d’Europe” – celles du Maghreb ou d’Asie sont encore mal connues. N’oublions jamais que, s’il est devenu la langue d’une nation grâce aux rois francs, le français était, à l’origine, un dialecte dans une forêt de dialectes. La francophonie est un héritage historique pérenne. Elle donne une unité à la vie multiforme de la langue française. » (Site du ministère de la Culture, 2016)

 

7. Analogie

L'une des grandes forces des dictionnaires Le Robert, tels qu'ils furent imaginés par Paul Robert puis développés par Alain et Josette Rey et l'équipe de lexicographes, c'est l'analogie, réseau hypertexte avant l'heure, constitué par des milliers de liens entre les mots. Le linguiste nous en expliquait la puissance : « Un dictionnaire analogique n’isole jamais un mot, il le considère toujours dans un ensemble de mots. L’analogie est un renvoi perpétuel d’un mot vers tous les autres auxquels il peut faire penser par association d’idées. On peut comparer les différentes définitions, les différents sens, synonymes ou pas, plus ou moins spécialisés ou étendus. Tous ces mouvements, combinés à des citations littéraires et poétiques, dessinent l’usage du mot, mais un usage vivant et vibrant. » (Le Temps, 2 décembre 2017)

 

6. Échange

Parmi les néologismes qui apparaissent chaque année, on trouve des emprunts à d'autres langues. Aux journalistes qui s'inquiétaient du nombre d'anglicismes intégrant la langue française, Alain Rey rappelait que les échanges entre les langues ont toujours existé. « Quand on veut critiquer l’évolution de la langue, on dit que le français est envahi, mais cela a été le cas déjà au xvie siècle par l’italien, au xviie par l’espagnol. Depuis le xixe, c’est l’anglais. Mais on oublie de dire que les langues des pays voisins, et du coup du monde entier, ont été aussi consommatrices de mots français. Si on compte tous les mots qui sont des gallicismes dans les autres langues, on s’aperçoit qu’il y en a tout autant que des mots étrangers dans la langue française. C’est un échange perpétuel. » (Le Temps, 2 décembre 2017).

 

5. Société

Une langue vivante, c'est une langue qui évolue, notamment parce qu'elle suit les évolutions de la société. Les dictionnaires contemporains se doivent de suivre ces évolutions. Répondant à 20 minutes, Alain Rey prenait l'exemple de la féminisation des noms de métiers et de fonctions. « La féminisation est une nécessité sociale parce que la langue n’est pas faite pour dominer la société, c’est la société qui fait la langue. Il n’y a rien de plus démocratique que la langue. C’est pour ça que je suis hostile aux puristes académiciens qui gueulent comme des putois quand il y a une nouvelle façon de s’exprimer. S’il n’y avait pas de nouvelles façons de s’exprimer, le français serait figé, et s’il était figé, il serait en péril, ce qui n’est pas le cas. » (20 minutes, 18 octobre 2017)

 

4. Étymologie

L'étymologie étudie l'origine et l'histoire des mots, qu'Alain Rey nous a magnifiquement racontées dans son Dictionnaire historique de la langue française. « L’histoire de la langue française peut se lire et se présenter comme un roman. […] Dans les mots qui sont décrits par le Dictionnaire historique de la langue française, il y en a qui réservent des surprises. » Il donnait ainsi l'exemple de son mot préféré, luciférienne, dérivé de Lucifer. « Le mot Lucifer, qui a abouti à vouloir dire “le démon, le diable”, était en fait un mot de la lumière. Lucifer, en latin, c’est le porteur de lumière. Donc le mythe de Lucifer est un mythe fondamental de toutes les croyances, et c’est le christianisme qui en a fait le nom du diable. On peut se demander pourquoi. La réponse est simple. Le dieu de la lumière, c’est le dieu de croyances païennes et les croyances païennes évidemment sont rejetées. De même, l’ancien archange Lucifer va devenir un démon parce qu’il refuse de se soumettre au Christ. » (Vidéos de présentation du Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 2016)

 

3. Culture

Chaque langue est étroitement liée à une culture : « Les mots, mais aussi les expressions, les constructions, les façons de dire sont le reflet de la conception du monde dans chaque langue et donc dans chaque civilisation », commentait Alain Rey dans l'émission Un livre, un jour en 2005. C'est pourquoi, dans le Dictionnaire culturel en langue française, le lexicographe et son équipe se sont attachés à décrire non seulement la langue, mais aussi « le passage de la vision du monde qui est induite par l'existence de la langue française dans laquelle nous pensons – parce que les mots sont hérités et nous sommes bien obligés de nous en servir – à des façons de voir plus générales qui nous viennent de l'extérieur grâce à la traduction et qui peuvent être formulées en chinois, en arabe, en japonais, en anglais, en allemand, en espagnol… Et je mettrais en priorité les langues européennes qui nous entourent parce que les interférences entre ces langues et le français sont multiples et constantes. » (Un livre, un jour, France 3, 2005)

 

2. Transmission

Dialoguant avec toutes les générations, Alain Rey savait transmettre sa passion au plus grand nombre. Beaucoup l'ont connu grâce à ses chroniques matinales sur France Inter. Les plus jeunes l'ont découvert en tant qu'invité d'un célèbre youtubeur. « Squeezie m’a raconté qu’il cherchait des mots que ses copains rappeurs et lui ne connaissaient pas pour mettre dans les raps, et aussi pour dire aux jeunes qu’il y a des mots qui leur sont inconnus mais qui sont intéressants, qui disent des choses. Je leur ai donné des mots pour faire un rap, ils ont fait pareil pour que je fasse un slam. Il se trouve que ceux qui regardent ça sont des millions, apparemment. C’est une manière de montrer aux jeunes que ce n’est pas seulement l’ennui d’apprendre le mot français avec sa grammaire, mais que ça peut être aussi un plaisir parce que ça permet d’enrichir son expression, de faire des poésies en mettant un mot que les copains ne connaissent pas. » (20 minutes, 18 octobre 2017)

 

1. Dictionnaire

Sans surprise, nous terminons ce classement par le mot dictionnaire, nom des ouvrages auxquels Alain Rey a consacré sa vie. « Dictionnaire, entendons par là le livre des dictiones en latin, c'est-à-dire les manières de s'exprimer » (Un livre, un jour, France 3, 2005). Dans les colonnes de Lyon Capitale, en décembre 2018, il résumait ainsi le pouvoir de ces recueils : « […] les dictionnaires offrent des parcours labyrinthiques qui permettent ce que les Anglais nomment la sérendipité, c’est-à-dire de trouver des choses auxquelles on n’avait pas pensé. Le dictionnaire n’est pas un cimetière ni un conservatoire des idées ou des mots d’avant. Le dictionnaire est un observateur du monde qui l’entoure. Son rôle sera toujours d’empêcher les mots de mourir. Les mots ont une énergie intérieure. Ils se modifient, se métamorphosent sans arrêt. Le dictionnaire est le reflet de cela. »

 

 

Retrouvez les œuvres majeures d'Alain Rey sur notre site.

Crédit photo : © Éditions Le Robert. De gauche à droite : Bérengère Baucher, Alain Rey, Marie-Hélène Drivaud, Édouard Trouillez. 

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