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Le dragon, un monstre cracheur... de mots !

Le dessous des mots

Omniprésent depuis l’Antiquité dans les mythes et les épopées, le dragon est sans doute l’animal fantastique qui fascine le plus. Monstre terrifiant cracheur de feu en Occident, créature d’eau bienfaisante en Asie, sa charge symbolique varie selon la provenance géographique des récits. Découvrons ensemble l’histoire du mot « dragon », tout aussi fabuleuse que la créature qu’il désigne.

Le dragon, une étymologie reptilienne

Le nom dragon apparaît pour la première fois dans l’épopée La Chanson de Roland, en 1080, sous la graphie dragun. Il est emprunté au latin draco, -onis, qui désigne au sens propre un animal fabuleux, particulièrement redoutable, aux allures de serpent.

Il est intéressant de remonter encore plus loin dans l’étymologie du mot, draco ayant été emprunté au grec drakôn, employé comme nom propre à Athènes et apparenté à un verbe qui signifie « regarder » avec des yeux fixes et perçants, comme un reptile. Cela ne vous rappelle-t-il pas le regard du dragon endormi sur son trésor qui ouvre subitement les yeux, alerté par le tintement des pièces d’or ?

 

Le dragon, créature bienfaisante ou monstre redoutable ?

C’est bien en Chine, dès le néolithique, que sont apparues les premières représentations du dragon ! En effet, dragon sert également de traduction au mot chinois lóng, qui désigne une créature au long corps de reptile, sans ailes mais capable de voler, ne crachant pas de feu mais maîtrisant l’eau et ayant le pouvoir d’invoquer la pluie. Allié du pouvoir, bienfaisant, il symbolise la puissance et la protection. En français, la mention de dragon chinois apparaît, dans un texte traduit, à la fin du XVIIe siècle.

En Europe, la mythologie grecque a forgé dans l’imaginaire collectif la figure du reptile volant, souvent gardien d’un trésor, avec des créatures comme Ladon qui veille sur les pommes d’or du jardin des Hespérides, le dragon de Colchide sur la toison d’or, mais aussi d’autres monstres volants tels le Phénix et les sirènes. Jusqu’à la fin du Moyen Âge, on a souvent cru que le dragon était réel, d’autant plus qu’il devient le symbole du démon dans l’iconographie chrétienne au début du XIIe siècle.

De nos jours, le mot évoque instantanément la représentation des œuvres littéraires et cinématographiques de fantasy, notamment la série Game of Thrones, dont les dragons ne sont, en réalité, rien d’autre que la fusion des deux symboliques : des monstres ailés terrifiants qui crachent du feu, conformément à l’imaginaire occidental, mais alliés du pouvoir, comme les dragons orientaux.

 

Du dragon aux dragons

Au XVIIe siècle, l’image négative associée au dragon européen a donné naissance à un emploi péjoratif, désignant un « gardien, surveillant vigilant et intraitable » ou une « personne vive et acariâtre ». Souvent utilisé à l’égard d’une femme, ce sens est aussi illustré par le féminin dragonne, qui désignait autrefois une femme colérique. On retrouve enfin cette idée de caractère implacable dans l’expression dragon de vertu, qui qualifie une femme particulièrement prude affichant une vertu farouche.

En héraldique, dragon a désigné un étendard jusqu’au XVIe siècle, puis un soldat de cavalerie. De nos jours, le mot s’applique à un soldat d’une unité motorisée ou blindée. C’est de ce sens militaire que vient l’expression figurée à la dragonne, équivalent de à la hussarde (« de manière cavalière, sans gêne, sans retenue »).

À partir de son sens premier, dragon est aussi passé dans le vocabulaire de la zoologie pour désigner plusieurs espèces animales : le dragon de Komodo, vivant en Indonésie, est le plus grand varan du monde, tandis que le dragon volant est un petit lézard d’Asie pouvant planer grâce à ses membranes semblables à des ailes. On peut aussi citer le dragon millipède rose (mille-pattes vivant en Thaïlande) ou le dragon bleu des mers (limace aquatique).

 

Le dragon, un monstre cracheur… de mots !

Par sa richesse sémantique, dragon a donné naissance à de nombreux autres mots. Parmi les plus anciens, l’adjectif dragonné, ée « en forme de dragon » a été employé en héraldique. Dans le même domaine, le sens d’« étendard » a perduré par le nom masculin dragonnier (« porte-drapeau »). Le mot dragonnier désigne aujourd’hui un arbre tropical dont la tige ramifiée laisse écouler une gomme rouge, appelée sang-dragon. Le sens de « serpent imaginaire » est quant à lui présent dans le nom masculin dracéna (issu du latin botanique dracaena, « dragon femelle »), désignant le même arbuste.

D’autres mots découlent de dragon au sens de « soldat de cavalerie » : le nom féminin dragonnade (« violences exercées par les dragons contre les protestants ») et le verbe dragonner, forgé pour décrire ce type d’action, ainsi que le nom féminin dragonne (« cordon, galon qui garnit la poignée d’un sabre, d’une épée »).

Véritable mot voyageur, il a également enrichi le français par le biais d’autres langues : le suédois, avec le mot drakkar (« navire dont la proue était ornée d’un dragon »), ou encore l’arabe, avec estragon (« herbe dont la racine à la forme serpentine faisait croire qu’elle pouvait guérir les morsures de serpent »).

On doit même au mot dragon la création de noms propres, certains auteurs s’en étant inspirés, directement ou indirectement, pour baptiser leurs personnages de fiction, que ce soit Bram Stoker pour le comte Dracula (de Dracul, « le Dragon », surnom d’un prince d’Europe de l’Est) ou, plus récemment, J. K. Rowling pour Drago Malefoy, l’éternel rival d’Harry Potter, issu de la maison… Serpentard.

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