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Miskine, Miskina

Les mots du bitume

n. et adj. : « pauvre, faible »

Miskine, miskina au féminin, est une interjection qui s’insère dans une phrase ou vient la ponctuer en bout de ligne. C’est une exclamation de pitié empreinte de compassion qui semble dire « Oh ! le pauvre ! ». Tantôt elle sera teintée d’humour, tantôt elle sera accusatrice, un peu comme on dirait « pauvre type ! ». Une chute dans la rue, un mec qui a un comportement étrange mais drôle, un autre qui se fait engueuler et qui l’a bien cherché… tout est prétexte à la miskinerie. Le mot permet également d’affirmer son détachement face à la situation dont on est témoin et qu’on commente. Le miskine ou la miskina, c’est toujours l’autre, et il y a de quoi s’en réjouir !

Mais d’où viennent les miskines ? D’abord, de l’arabe et, en remontant encore dans le temps, de l’akkadien (langue sémitique très ancienne qui s’est éteinte au premier siècle avant notre ère). Dans cette langue, le mot mushkénu désignait un être qui appartenait à une classe sociale intermédiaire, celle des pauvres et des mendiants : ni complètement asservis, ni totalement libres. Cette racine sémitique, qui associe faiblesse, prosternation et soumission, a donné la racine skn en arabe. Cette racine a plusieurs significations et celle que l’on peut retenir pour miskine renvoie à l’incapacité de se mouvoir, la prostration. Pas très réjouissant… Pourtant, cette racine a aussi donné la tranquillité et la paix, sakina.

Le mot aurait ensuite traversé la Méditerranée et, une fois arrivé en Italie, serait devenu meschino et en Espagne mezquino. Il conserve la signification empruntée à l’arabe : pauvre, indigent. En italien vient s’ajouter une nuance. « Il meschino manca di generosità, di grandezza d’animo. » Le mesquin manque de générosité et de grandeur d’âme. Eh oui, les mots miskine et mesquin sont cousins !

Il ne vous reste plus qu’à adopter la graphie qui vous conviendra : miskine, meskine ou, tout simplement, msk comme en hommage à l’arabe littéraire où les voyelles ne sont généralement pas écrites. Bon nombre de mots venus de l’arabe en français subissent cette même transformation, ce qui n’est pas pour plaire à tout le monde car ces abréviations ne respectent pas les radicaux arabes. Ainsi, wallah se lira parfois « WLH », salam « SLM », et miskine, donc, « MSK ». Que dire d’une telle ablation ? D’une part, elle permet d’aller plus vite – or chacun sait que sur les réseaux sociaux il fait bon raccourcir – et le propos gagne en densité bien que, pour certains, il perde en clarté. En effet, cette transformation du mot a certainement aussi une fonction cryptique. Le mot, ainsi écrit, laisse ses lecteurs comme deux ronds de flan ! D’autant plus qu’une fois prononcé il récupère subrepticement ses lettres manquantes…

CITATIONS

La Boussole, « Le son des miskines », 2004.

« C’est le chant des miskines, des continents qu’on éventre. / Le parfum du néant, d’un grain de riz dans le ventre / d’Europe, d’Asie, d’Amérique ou d’Afrique / Une lourde pensée pour les démunis de fric. »

Aladin 135, « À peine majeur », À peine majeur, 2014.

« Autant vous dire que j’m’en bats les couilles d’être authentique / ça t’fait d’la peine, miskine, t’es trop sensible ! »

Lomepal, « Palpal », Flip, 2017.

« Mélange de pilules et de whisky, miskine / Tu vas finir comme Octave Parango. »

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Adapté de l'ouvrage Les mots du bitume, par Aurore Vincenti. 

De Rabelais aux rappeurs, un petit dictionnaire de la langue de la rue. Avec la préface d’Alain Rey.

 

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